Rôle décisif de la situation au moment du conseil, devoir de mise en garde incombant à la banque en cas de changement de circonstances ultérieur?
Il convient de préciser ici en tout premier lieu que les produits à capital protégé émis par Lehman Brothers ne présentent aucun défaut et ne sont pas conçus en infraction à des principes reconnus. D’autres banques ont elles aussi «fabriqué» et vendu des produits identiques ou analogues, et elles continuent de le faire aujourd’hui encore. S’il y a eu des problèmes, c’est uniquement parce que l’émetteur et garant est devenu insolvable, de sorte que la protection du capital ne valait plus rien. Il est également incontesté que Lehman Brothers était une banque d’investissement reconnue, sûre, importante, et de surcroît bien évaluée par les agences de notation. Pour l’Ombudsman, il est indubitable que jusqu’à ce que la crise financière éclate, rien ne laissait présager la faillite de Lehman Brothers: on ne saurait donc contester sur ce fondement les conseils d’achat de produits de Lehman Brothers donnés antérieurement à la crise. Pour en revenir à l’exemple présent, on ne saurait reprocher à la banque d’avoir recommandé au client, en mai 2006, l’achat d’un produit à capital protégé de Lehman Brothers.
Le client reprochait à la banque de ne pas l’avoir spontanément mis en garde en lui conseillant de vendre le produit. A ses interrogations répétées, elle aurait toujours répondu que la patience était de mise.
A cet égard, il convient de souligner tout d’abord qu’en l’espèce, la banque ne conseillait le client que ponctuellement; il n’existait aucun contrat lui confiant la défense des intérêts patrimoniaux du client de manière générale. Dans ce cas, la doctrine dominante considère qu’il appartient au client de surveiller les titres qu’il détient en dépôt et de prendre les décisions qui lui paraissent adéquates. Bien entendu, il n’est pas interdit à la banque de porter les évolutions «dangereuses» à l’attention du client. Mais elle n’est pas tenue de le faire.
On pourrait toutefois se demander si, dans la configuration suivante, il n’y a pas lieu d’imputer à la banque un devoir de mise en garde: la banque contacte un client novice en matière financière et lui conseille un produit donné, arguant du fait qu’il est tout aussi sûr que son avoir en compte d’épargne. Supposons maintenant que par la suite, la solvabilité de l’émetteur ou débiteur se dégrade notablement, et que la banque a tout lieu de penser que le client, en raison de son inexpérience, pourrait ne pas s’en rendre compte: l’Ombudsman considère qu’il convient alors pour le moins de se demander si la banque, en conseillant spontanément un produit absolument sûr, ne s’est pas engagée aussi à mettre en garde le client en cas de changement de circonstances.
Lorsque le client – pour en revenir à notre exemple – demande explicitement à son conseiller ce qu’il pense de la situation et quelle serait sa recommandation concernant un titre précis, on peut se référer aux règles générales: sauf accord contractuel préexistant, la banque n’est pas tenue de conseiller le client. Si elle le fait néanmoins, sa prestation de conseil doit être complète et correcte; en d’autres termes, elle doit lui recommander ce que lui aurait recommandé un professionnel expérimenté dans la même situation. Disons-le clairement une fois de plus: la banque ne peut être tenue responsable du simple fait que le conseil de son collaborateur se révèle erroné par la suite. Il n’y a erreur de conseil que lorsqu’un professionnel compétent, dans la même situation, n’aurait pas donné ce conseil.
En l’espèce, ce sont les nouvelles alarmantes diffusées dans les journaux qui inquiétèrent le client. Il prit donc contact avec sa banque en juillet 2008. Une collaboratrice accepta de le conseiller, de sorte qu’on est en droit d’examiner si son conseil était complet, correct et adapté aux circonstances. A cette date, il était clair que Lehman Brothers était très fortement touchée par la crise des marchés financiers. Certes, personne ne s’attendait à une faillite, d’autant plus qu’une autre banque américaine, Bear Stearns, avait été reprise et ainsi sauvée quelques mois auparavant. Mais il était patent que même les produits à capital protégé de Lehman Brothers se négociaient avec une forte décote – décote dont la seule explication était que le marché n’était plus vraiment convaincu de la solvabilité de la banque émettrice.
Pour l’Ombudsman, c’est une évidence: les informations données au client ne pouvaient être complètes que si la conseillère avait signalé cette situation. Il ne lui était pas interdit de lui faire part (ensuite) de son avis personnel. Mais alors, deux éléments sont fondamentaux: d’une part, qu’elle indique clairement qu’il s’agissait d’un avis personnel; et d’autre part, qu’elle mette tous les faits sur la table, pour que le client puisse prendre sa décision en toute connaissance de cause.
S’agissant de la teneur des entretiens conseil, les avis divergeaient. Selon le client, la conseillère lui avait bel et bien dit qu’en aucun cas il ne pouvait y avoir de problèmes, car le placement était garanti à 100% et fonctionnait exactement comme les placements ou produits «maison». Lors de l’entretien qui avait eu lieu juste avant l’ouverture de la faillite, elle avait insisté à nouveau sur la protection intégrale du capital et à aucun moment elle n’avait évoqué ne serait-ce que la possibilité de vendre. Quant à la banque, ses explications restèrent vagues. Selon elle et en substance, la conseillère avait déclaré qu’au regard de la situation et des cours en vigueur, personnellement, elle conserverait le produit. On n’eut toutefois pas à examiner plus avant si la collaboratrice de la banque avait respecté son devoir d’information: selon l’Ombudsman, les règles applicables en matière de diversification (risque de concentration) avaient elles aussi été enfreintes et la banque, malgré son désaccord, se déclara disposée à indemniser partiellement le client, qui accepta.