Ordre de paiement falsifié: qui en supporte la responsabilité?
L’Ombudsman est régulièrement confronté à des cas d’ordres de paiement frauduleux en provenance d’Afrique, ce qui l’incite à soulever une nouvelle fois la question. Tous ces cas ont en commun que le client de la banque suisse habite en Afrique et se fait envoyer la correspondance par la poste. Force est de constater que les justificatifs et relevés ainsi expédiés sont interceptés par des malfaiteurs, qui ont dès lors accès à des informations sur la relation de compte et passent à la banque des ordres de virement falsifiés. Le plus souvent, il est demandé que le virement soit effectué au crédit d’un compte domicilié dans une banque d’un pays «exotique». Comme la banque suisse et les collaborateurs chargés de suivre les clients vivant en Afrique sont supposés être au courant de ces manigances, l’Ombudsman a demandé que l’on redouble de prudence dans le cas de tels ordres. Mais il considère aussi que les clients domiciliés en Afrique savent que des envois postaux sont interceptés. Il demande donc aux clients – et à chacun d’entre eux – de contrôler immédiatement et attentivement les relevés et justificatifs qu’ils reçoivent et de réclamer sans retard auprès de la banque lorsque, par exemple, un relevé attendu n’arrive pas ou présente des écritures douteuses.
Lorsque la banque reçoit un ordre de paiement, il lui appartient de vérifier s’il émane d’une personne autorisée. A cet effet, elle compare la signature figurant sur l’ordre avec le spécimen déposé dans ses dossiers. Si les deux signatures ne concordent pas, elle ne peut pas exécuter l’ordre. En l’espèce, il s’agissait d’une très bonne falsification de la signature du client, de sorte que l’Ombudsman a conclu qu’aucune faute grave ne pouvait être reprochée à la banque à cet égard. Mais il est aussi d’avis que la banque ne saurait se contenter d’une comparaison de signatures: il attend d’elle qu’elle prenne aussi en considération les circonstances propres à chaque cas.
Dans le cas présent, plusieurs éléments auraient dû éveiller les soupçons de la banque. Ainsi, avant qu’elle ne reçoive l’ordre de paiement écrit, une personne s’était manifestée auprès d’elle par téléphone. La banque prétendit – de manière pas vraiment convaincante – qu’elle avait clairement identifié cet interlocuteur comme étant le client. L’auteur de l’appel téléphonique s’était en outre visiblement renseigné sur certains détails essentiels à la transaction. Or, il est établi que le client avait déjà passé des ordres de paiement à plusieurs reprises, de sorte qu’il ne pouvait ignorer ces détails. Par ailleurs, l’auteur de l’appel téléphonique avait laissé un numéro de téléphone dont la banque n’avait pas connaissance jusqu’alors, et dont le préfixe ne correspondait pas au pays de domicile du client. Interrogé sur ce point, selon la banque, il aurait répondu qu’il était en vacances. Cela était aisément vérifiable par un simple rappel de la banque aux numéros de téléphone (fixe et mobile) qu’elle connaissait. Par la suite, à réception de l’ordre écrit, la banque aurait notamment dû se rendre compte que sa formulation ne correspondait pas à celle utilisée jusqu’alors par le client, était assez «maladroite» et contenait des erreurs de langue. L’argent devait en outre être viré sur un compte ouvert auprès d’une banque en Chine. Certes, ce compte était libellé au nom du client, mais la banque savait que le client n’avait pas entretenu de relations avec la Chine jusque-là et que tous les bénéficiaires de ses ordres de paiement précédents se situaient en Suisse. Et enfin, lorsque la banque voulut exécuter le deuxième ordre passé par le «client», il s’avéra qu’elle ne pouvait pas virer le montant demandé, car le solde du compte était insuffisant. La conseillère à la clientèle appela donc au numéro de téléphone indiqué sur l’ordre (et non à celui figurant dans les dossiers de la banque) et se fit confirmer par le fraudeur qu’il y avait lieu dès lors de virer un montant inférieur. Tous ces éléments laissaient à penser que la banque n’avait pas fait preuve de la diligence requise dans la vérification de l’ordre.
Quant au client, il n’était pas non plus exempt de toute critique. Ainsi, cinq ans auparavant, une mallette lui appartenant et contenant des documents bancaires avait disparu. Il n’avait jamais signalé cette perte ou ce vol à la banque, de sorte que celle-ci ne put prendre aucune mesure préventive. En outre, le client n’avait pas réagi au relevé de compte sur lequel figurait le premier virement. S’il avait soigneusement contrôlé ce relevé et adressé une réclamation à la banque, celle-ci aurait pu stopper au moins le deuxième virement. L’Ombudsman proposa donc un partage du préjudice, ce qui fut accepté par les deux parties.