Calcul des intérêts d’une hypothèque libor
En 2011, le client avait conclu une hypothèque Libor avec la banque. Le taux d’intérêt prévu se composait d’un taux d’intérêt de base, le Libor CHF à trois mois, auquel s’ajoutait une marge de 1,08 %. L’hypothèque pouvait être résiliée par chacune des parties pour la fin de la période d’intérêt fixe de trois mois en cours, moyennant un préavis de 60 jours. La possibilité d’un taux d’intérêt de base négatif n’était pas mentionnée dans le contrat. Celui-ci ne contenait par ailleurs aucune disposition expresse sur la manière de calculer les intérêts en cas de taux d’intérêt Libor négatif.
Dès décembre 2012, la banque a indiqué dans ses informations relatives aux taux d’intérêt qu’un taux de base de 0 % serait appliqué pour le calcul en cas de taux Libor négatif. En janvier 2015, le Libor CHF à trois mois est devenu négatif; dès lors, un intérêt à hauteur de la seule marge convenue de 1,08 % a été facturé au client. Celui-ci a fait valoir que le contrat n’avait jamais été adapté par la banque et devait être interprété à la lettre. Par conséquent, un éventuel taux d’intérêt négatif devait être pris en compte dans le calcul: s’il s’élevait à –0,5 %, par exemple, le client ne devait à la banque que 0,58 % et non 1,08 %. Fort de cette argumentation, le client a exigé le remboursement de la différence d’intérêts pour tous les débits prélevés au cours des 5 dernières années, pour lesquels le délai de prescription n’était pas encore échu. Il s’est référé à une décision de la Cour suprême zurichoise selon laquelle, ainsi que l’a relaté la presse en janvier 2021, une disposition contractuelle réglant le calcul des taux d’intérêt ne peut pas être modifiée par de simples informations relatives aux taux d’intérêt non contestées. De l’avis du client, la banque aurait donc dû notifier une telle modification de manière expresse.
Après la publication des articles de presse relatifs à la décision de la Cour suprême zurichoise, l’Ombudsman a reçu plusieurs plaintes similaires. Des modèles de lettres ont également circulé, que les clients pouvaient utiliser pour faire valoir des prétentions en restitution auprès des banques en se référant à cette décision. Celle-ci portait notamment sur un contrat-cadre dans lequel figurait une clause relative au calcul des intérêts formulée d’une manière analogue à celle concernant le client, sans mention d’éventuels taux d’intérêt de base négatifs. Dans le cadre de la procédure judiciaire citée, la banque a affirmé avoir convenu avec le représentant du client que le taux d’intérêt de base ne serait jamais inférieur à 0 %, même en cas de taux négatifs, les attestations d’intérêts ayant été ensuite établies sur la base de cet accord. De toute évidence, l’instance précédente avait omis de clarifier sur la base de preuves si un tel accord avait bel et bien été conclu, et ce alors que les deux parties avaient appelé le représentant du client à témoigner. Selon l’Ombudsman, la Cour suprême était d’avis que les attestations d’intérêts constituaient certes un indice d’un tel accord, mais ne permettaient pas pour autant de prouver qu’un tel accord avait effectivement été conclu. Il a donc renvoyé l’affaire à l’instance inférieure afin qu’elle se prononce sur ce point. L’Ombudsman ignore comment cette question a finalement été tranchée, mais l’avis de la banque selon lequel le jugement invoqué par le client n’était pas pertinent dans leur situation était compréhensible. En effet, en l’espèce, contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire relayée par la presse, la banque ne prétendait pas que la disposition régissant le calcul des intérêts prévue dans le contrat-cadre avait été modifiée ultérieurement par un accord séparé, qui avait servi de base aux attestations d’intérêts délivrées par la suite. Il s’agissait uniquement de déterminer comment interpréter la disposition relative au calcul des intérêts.
De l’avis de la banque, il ressortait du contrat conclu avec le client que celui-ci devait dans tous les cas payer la totalité de la marge d’intérêt, qui était fixée en fonction de l’immeuble grevé et de la solvabilité du débiteur. De cette façon, la banque pouvait couvrir les risques et les coûts liés à l’octroi du crédit. La marge n’était pas soumise aux fluctuations du taux d’intérêt de base. La banque a en outre fait valoir que, compte tenu du niveau des taux d’intérêt lors de la conclusion du contrat en 2011, il n’y avait pas de motifs de régler explicitement une situation d’intérêts négatifs, dans la mesure où celle-ci n’était pas encore prévisible à l’époque. Avec les informations individuelles relatives aux taux d’intérêt publiées à compter de décembre 2012, la banque n’a nullement modifié le contrat, mais simplement clarifié sa perception de la situation contractuelle. Toujours selon la banque, quand bien même on admettrait, ce qui n’était pas son cas, que le taux plancher à zéro et la protection de la marge n’étaient pas prévus par le contrat, le client ne pouvait faire valoir aucune prétention en restitution, étant donné qu’il n’avait pas contesté les débits d’intérêts pendant plusieurs années et les avait ainsi approuvés.
Une éventuelle prétention en restitution était régie par les règles sur l’enrichissement illégitime et était en grande partie déjà prescrite. Le délai de prescription en matière d’enrichissement illégitime mentionné par la banque dans ce contexte, qui était auparavant d’un an à compter du moment où le client avait connaissance de la prétention, est passé à trois ans en janvier 2020. Dans sa réponse détaillée, la banque a cité diverses opinions de doctrine et décisions de jurisprudence. Elle n’était pas disposée à accéder à la requête du client.
L’Ombudsman s’est prononcé pour la première fois sur un tel litige dans son rapport annuel 2015 (cas 2015/06). A l’époque déjà, cette problématique n’avait pas pu être résolue dans le cadre de la procédure de médiation. Estimant que les deux parties avaient valablement motivé leur point de vue, l’Ombudsman avait dû renvoyer le client aux voies de droit ordinaires. Six ans après l’introduction de taux d’intérêt négatifs en CHF, les questions juridiques complexes qui se posent dans de tels litiges font toujours l’objet de vives discussions entre juristes.
Le Tribunal fédéral a résumé les opinions dominantes dans son arrêt ATF 145 III 241. Un premier groupe de juristes estime que les dispositions contractuelles controversées relatives au calcul des intérêts doivent être interprétées de telle manière que, si les taux d’intérêt sont négatifs, la banque peut adopter un taux d’intérêt de base de 0 % et a toujours droit au moins à la marge d’intérêt convenue. Sans surprise, c’est ce point de vue que défendent les prestataires de services financiers connus de l’Ombudsman. Un deuxième groupe de juristes défend quant à lui une position intermédiaire, à savoir que la marge diminue en cas d’intérêt de base négatif, mais ne peut pas être inférieure à 0 %. En d’autres termes, il n’y a jamais d’inversion du flux de paiement, dans la mesure où une telle situation serait incompatible avec le caractère de rémunération du prêt. Enfin, un troisième groupe de juristes considère que la formulation des dispositions contestées est claire et que celles-ci doivent être appliquées à la lettre: il peut donc y avoir une inversion du flux de paiement si la somme de la marge et du taux d’intérêt négatif est inférieure à zéro. Dans un tel cas, le donneur de crédit doit indemniser l’emprunteur en conséquence.
Dans l’arrêt précité, le Tribunal fédéral rejette la troisième interprétation et soutient que, même si les taux d’intérêt sont négatifs, il ne peut jamais y avoir inversion du flux de paiement, et donc que les intérêts dus se montent à 0 % au minimum. S’agissant de la première interprétation, le Tribunal fédéral précise qu’il la juge défendable sans pour autant rendre de décision contraignante à cet égard, les parties n’ayant pas formulé d’allégations à ce sujet.
A la connaissance de l’Ombudsman, le Tribunal fédéral n’a encore rendu aucune décision qui trancherait définitivement la question litigieuse qui se pose en l’espèce. Compte tenu de l’ampleur économique globale de cette problématique, de la diversité des opinions juridiques y relatives, de la situation juridique non encore tranchée par le Tribunal fédéral, ainsi que des positions sur lesquelles la banque campait en l’espèce, l’Ombudsman s’est vu contraint de reconnaître que ses efforts de médiation devenaient vains et de clore le dossier. Il a dû en faire de même avec tous les cas similaires qui lui ont été soumis. Dans une telle situation, les clients sont libres de soumettre leur cas aux tribunaux ordinaires. L’Ombudsman a néanmoins recommandé à chacun d’eux de se faire conseiller par un avocat spécialisé s’ils envisageaient une telle démarche, afin que celui-ci puisse leur expliquer les chances et les risques d’une telle procédure. Selon lui, les risques sont en effet considérables.