A qui appartiennent les fonds en «compte d’épargne Jeunesse»?
L’Ombudsman n’était pas nécessairement du même avis. En principe, les parents, grands-parents, parrains, marraines, etc. peuvent «aider financièrement» un enfant de deux manières:
• Ils peuvent lui faire cadeau de l’argent directement. Les montants correspondants font alors partie des biens de l’enfant. Dans ce cas, l’argent est versé sur un compte ouvert au nom de l’enfant et administré par les parents en tant que détenteurs de l’autorité parentale.
• Ils peuvent verser l’argent sur un compte et convenir avec la banque que les montants correspondants sont certes destinés à l’enfant, mais que la personne qui effectue le versement, par exemple le père, peut continuer à en disposer librement tant qu’elle n’a pas informé la banque ou l’enfant que l’argent appartient désormais à l’enfant. Jusqu’à cette date, l’argent entre dans le patrimoine du père.
On parle dans ce deuxième cas de «variante parrain/marraine» («Göttivariante»), car, autrefois, à la naissance de leur filleul, les parrains et marraines avaient coutume d’ouvrir un livret d’épargne au nom de l’enfant et de l’alimenter au fil du temps. Mais ils ne remettaient pas ce livret d’épargne aux parents. Ils le conservaient jusqu’à ce que soit venue l’heure de le transmettre eux-mêmes à leur filleul, le plus souvent lors d’une occasion particulière: communion, confirmation ou mariage. Dans ce système, le livret d’épargne et les avoirs appartenaient clairement au parrain ou à la marraine jusqu’à la remise du livret à l’enfant. Aujourd’hui, il n’existe plus guère de banque qui propose des livrets, mais ce type d’épargne reste demandé, de sorte que l’on a mis en place des comptes explicitement prévus à cet effet.
En l’espèce, tant l’office des faillites que la banque sont partis du principe que les comptes d’épargne Jeunesse ouverts par le père seul correspondaient à cette deuxième formule. Et comme le père, jusqu’à son décès, n’avait pas informé la banque que l’argent appartenait désormais aux enfants, il resta dans son propre patrimoine et tomba par la suite dans la masse en faillite.
Cela ne signifiait pas pour autant que l’argent était perdu pour les enfants. En effet, quant au point de savoir si le père pouvait ou pas résilier les comptes d’épargne initiaux et en ouvrir de nouveaux, l’élément déterminant était ce dont les parents étaient convenus avec la banque concernant les premiers.
La banque elle-même fit valoir qu’en sa qualité de détenteur de l’autorité parentale le père avait le droit de résilier les deux comptes. Or, s’il a agi en tant que représentant des enfants, les avoirs faisaient nécessairement partie des biens des enfants car, concernant son propre patrimoine, il n’est pas représentant mais agit pour son propre compte. S’y ajoute le fait qu’ouvrir de nouveaux comptes n’a de sens que si la situation juridique s’en trouve modifiée. Et comme nul ne contestait que les nouveaux comptes s’inscrivaient dans le cadre de la «Göttivariante», il y a lieu de penser que les avoirs comptabilisés sur les comptes d’épargne Jeunesse initialement ouverts par les parents constituaient des biens des enfants.
Comme indiqué plus haut, les biens de l’enfant sont en général administrés par les parents. Ce que ces derniers peuvent et ne peuvent pas faire dans ce cadre est régi par les articles 318 ss du Code civil suisse (CC). En vertu de ces articles, les parents administrent les biens de l’enfant, mais ne peuvent les utiliser. Pour simplifier, ils sont tenus de préserver les biens dans leur substance (et si possible de les accroître). Autre élément à souligner: ces dispositions visent les parents, et non la banque. Les parents enfreignent les obligations que leur impose la loi s’ils utilisent une partie des biens de l’enfant ou violent les dispositions légales de toute autre manière.
S’agissant des biens de l’enfant déposés auprès d’elle, la banque peut valablement considérer que les parents connaissent leurs droits et obligations et les respectent. Selon l’Ombudsman, la banque n’est donc pas tenue de s’interroger sur chacun des actes des parents. Elle peut répondre favorablement à des demandes des parents dès lors qu’il ne saute pas aux yeux que ceux-ci enfreignent leurs obligations. Nous fondons cette position sur la jurisprudence bien établie du Tribunal fédéral en ce qui concerne l’effet des procurations en général. Tout comme les parents agissent à la place de l’enfant, le mandataire défend les intérêts d’un tiers, à savoir le mandant. Le Tribunal fédéral a statué à plusieurs reprises, en matière de procurations, qu’en principe une banque peut se fier au libellé et au contenu de la procuration et peut présumer que le mandataire n’abuse pas des droits qui lui ont été conférés. Si toutefois elle a des indices clairs laissant à penser que tel n’est pas le cas, elle ne doit pas exécuter des instructions données par le mandataire.
Si l’on transpose ce raisonnement au cas d’espèce, selon l’Ombudsman, il aurait dû sauter aux yeux de la banque que le père, en résiliant les anciens comptes et en en ouvrant de nouveaux, n’entendait pas effectuer un acte d’administration, mais transférer les biens des enfants dans son propre patrimoine. Ce faisant, il transgressait de manière clairement identifiable pour la banque les restrictions que lui impose la loi. La banque n’aurait pas dû le laisser faire.
L’Ombudsman suggéra donc que la banque dédommage les enfants. La banque accepta et ouvrit deux nouveaux comptes d’épargne Jeunesse, qu’elle crédita des montants tombés dans la masse en faillite du père. La mère, très heureuse, déclara que c’était le plus beau cadeau de Noël qu’on lui avait fait depuis des années.